Ásta de Jón Kalman Stefánsson / Rentrée littéraire 2018

Résumé de l’éditeur : Reykjavik, au début des années 50. Sigvaldi et Helga décident de nommer leur deuxième fille Ásta, d’après une grande héroïne de la littérature islandaise. Un prénom signifiant – à une lettre près – amour en islandais qui ne peut que porter chance à leur fille… Des années plus tard, Sigvaldi tombe d’une échelle et se remémore toute son existence  : il n’a pas été un père à la hauteur, et la vie d’Ásta n’a pas tenu cette promesse de bonheur. Jón Kalman Stefánsson enjambe les époques et les pays pour nous raconter l’urgence autant que l’impossibilité d’aimer. À travers l’histoire de Sigvaldi et d’Helga puis, une génération plus tard, celle d’Ásta et de Jósef, il nous offre un superbe roman, lyrique et charnel, sur des sentiments plus grands que nous, et des vies qui s’enlisent malgré notre inlassable quête du bonheur.

Second roman islandais à passer entre mes mains après La lettre à Helga de Bergsveinn Birgisson, Ásta fut une très belle surprise. Jón Kalman Stefánsson a su m’embarquer vers sa terre de glace si fascinante. Il nous propose de suivre plusieurs générations d’une même famille gravitant autour d’un personnage central, Ásta. Sans logique chronologique, le romancier nous raconte son histoire à la manière d’un puzzle à reconstituer. Les pièces s’assemblent finalement naturellement pour nous offrir un récit d’une grande force. Il n’est pas utile de tout saisir du premier coup, il suffit de se laisser porter par la superbe plume de l’auteur.

Ce roman  est l’occasion de découvrir une Islande encore repliée sur elle-même dont la jeunesse recherche une ouverture sur le monde sous l’œil soucieux des plus anciens. L’âpreté et la rudesse du climat et du relief sont également palpables. Elles sont à l’image de la vie difficile des protagonistes qu’un peu de douceur vient quelquefois soulager. Que ce soit Ásta, son père, sa nourrice, tous les personnages provoquent un réel intérêt ainsi qu’une empathie. Les souvenirs, la mémoire joueuse, les regrets sont autant de thématiques développées par Jón Kalman Stefánsson. Ce dernier distille également une certaine ironie à plusieurs reprises.

Je suis plus que ravie d’avoir découvert la plume et le talent de conteur de Jón Kalman Stefánsson. L’atmosphère, les personnages, la profondeur des différentes thématiques et le charme de l’Islande font de ce roman une lecture prenante et une œuvre marquante. De quoi donner envie d’aller plus loin avec cet auteur.

Lu dans le cadre du Grand prix des lectrices Elle 2019.

Vous aimerez aussi découvrir :

  • La maison des hautes falaises de Karen Viggers
  • Les reflets d’argent de Susan Fletcher
  • Soudain, seuls d’Isabelle Autissier

Fanny

Tu t’appelais Maria Schneider de Vanessa Schneider / Rentrée littéraire 2018

Résumé de l’éditeur : « Tu étais libre et sauvage. D’une beauté à couper le souffle. Tu n’étais plus une enfant, pas encore une adulte quand tu enflammas la pellicule du Dernier Tango à Paris, un huis clos de sexe et de violence avec Marlon Brando. Tu étais ma cousine. J’étais une petite fille et tu étais célèbre. Tu avais eu plusieurs vies déjà et de premières fêlures. Tu avais quitté ta mère à quinze ans pour venir vivre chez mes parents. Ce Tango marquait le début d’une grande carrière, voulais-tu croire. Il fut le linceul de tes rêves. Tu n’étais préparée à rien, ni à la gloire, ni au scandale. Tu as continué à tourner, mais la douleur s’est installée. Cette histoire, nous nous étions dit que nous l’écririons ensemble. Tu es partie et je m’y suis attelée seule, avec mes souvenirs, mes songes et les traces que tu as laissées derrière toi. Ce livre parle beaucoup de toi et un peu de moi. De cinéma, de politique, des années soixante-dix, de notre famille de fous, de drogue et de suicide, de fêtes et de rires éclatants aussi. Il nous embarque à Londres, à Paris, en Californie, à New York et au Brésil. On y croise les nôtres et ceux qui ont compté, Alain Delon, Brigitte Bardot, Patti Smith, Marlon Brandon, Nan Goldin… Ce livre est pour toi, Maria. Je ne sais pas si c’est le récit que tu aurais souhaité, mais c’est le roman que j’ai voulu écrire ».

Pour commencer, je dois bien avouer que Maria Schneider m’était totalement inconnue. J’ouvre donc ce livre et je découvre. Je découvre une jeune femme dépassée par le scandale d’un film dont elle partage l’affiche avec Marlon Brando, Le dernier tango à Paris. Ce dernier la poursuivra toute sa vie. Se dessinent aussi l’enfer de la drogue, de la dépression, de l’aigreur parfois et du rouleau-compresseur de la grosse machine du cinéma. Une vie faite de désillusion, de déchéance mais aussi de rares joies et d’envies. L’écrivaine utilise son livre comme medium pour entamer une conversation avec Maria. Elle emploie le tutoiement de la première à la dernière page. Vanessa Schneider nous propose un portrait sans concession de sa célèbre cousine. Elle la décrit comme une grande sœur dont l’écart d’âge important lui confère une aura mystérieuse, un peu floue mais provoque une fascination chez la jeune fille puis une véritable obsession.

Vanessa Schneider nous livre sa vérité. Sa colère est clairement présente, contre le réalisateur du Dernier tango à Paris, contre les personnes ayant laissées tomber Maria au fil des ans, contre les secrets des plateaux de tournage, contre le manque de tact et de respect des médias. Cependant, derrière le portrait de l’actrice, il est aussi question du parcours de Vanessa, de son enfance dans une famille hors du commun dans les années 80, de son adolescence puis de sa complicité d’adulte avec Maria. Il est dommage qu’une fois la dernière page du livre tournée, l’impression du souhait absolu de Vanessa Schneider d’une réhabilitation à tout prix prenne beaucoup de place. Il manque la voix et l’opinion de Maria que j’aurais beaucoup aimé lire. Elle en aurait eu des choses à nous raconter, mais elle n’aura jamais eu l’occasion de s’exprimer réellement. Ceci me laisse un goût un peu amer lorsque je repense à elle.

Vanessa Schneider nous livre le récit intime de l’existence éprouvante de Maria Schneider. La sincérité et la tendresse qui transparaissent de ces pages sont touchantes. Une certaine colère est également présente tout comme l’envie d’une réhabilitation. Cette dernière est louable puisqu’elle redonne une voix à Maria, mais elle est peut-être un peu trop prégnante dans certains passages.

Lu dans le cadre du Grand prix des lectrices Elle 2019.

Vous aimerez aussi découvrir :

  • Gala et Dali : de l’autre côté du miroir de Dominique de Gasquet
  • Mariage en douce d’Ariane Chemin
  • Vivre vite de Philippe Besson

Fanny

Call me by your name d’André Aciman

Résumé de l’éditeur : Andre Aciman’s Call Me by Your Name is the story of a sudden and powerful romance that blossoms between an adolescent boy and a summer guest at his parents’ cliffside mansion on the Italian Riviera. Each is unprepared for the consequences of their attraction, when, during the restless summer weeks, unrelenting currents of obsession, fascination, and desire intensify their passion and test the charged ground between them. Recklessly, the two verge toward the one thing both fear they may never truly find again: total intimacy. It is an instant classic and one of the great love stories of our time. / Résumé en français des éditions Grasset : Elio Perlman se souvient de l’été de ses 17 ans, à la fin des années quatre-vingt. Comme tous les ans, ses parents accueillent dans leur maison sur la côte italienne un jeune universitaire censé assister le père d’Elio, éminent professeur de littérature. Cette année l’invité sera Oliver, dont le charme et l’intelligence sautent aux yeux de tous. Au fil des jours qui passent au bord de la piscine, sur le court de tennis et à table où l’on se laisse aller à des joutes verbales enflammées, Elio se sent de plus en plus attiré par Oliver, tout en séduisant Marzia, la voisine.

Ce livre d’abord publié en 2007 a connu un retour fulgurant grâce à l’adaptation cinématographique sortie il y a peu. Suite aux avis de copinautes à qui je me fie les yeux fermés, je me suis plongée à mon tour entre les pages de cette histoire d’amour hors du commun. Elio nous raconte des années plus tard sa puissante rencontre avec Oliver, mais l’ensemble reste tout de même bien ancré dans le présent des années 80. La touffeur si particulière de l’Italie en été enveloppe un peu plus ce roman  dans une atmosphère ardente et voluptueuse. André Aciman décrit des scènes et des dialogues qui se gravent à jamais dans l’esprit du lecteur (le tête à tête entre Elio et son père est tellement beau et saisissant). Le ton est tantôt mélancolique, tantôt nostalgique et parfois impérieux. La chute m’a beaucoup plu à la fois douce et amère.

« The light of my eyes, I said, light of my eyes, light of the world, that’s what you are, light of my life. » (p. 85)

Une certaine tension sexuelle se dégage de plusieurs passages. Elle est clairement explicite mais toujours bien amenée par la description du désir, de l’attente, de l’impatience et de l’imagination de notre jeune héros (passionné de littérature et de musique classique). Même si on devine facilement qu’il ne s’agit pas d’une première aventure pour Oliver mais aussi pour Elio, c’est le caractère fulgurant, unique et indélébile de cette relation qui en fait l’histoire d’amour d’une vie, vous hantant pour toujours. Elio vit de véritables montagnes russes de sentiments. On le suit dans ses cheminements de pensée et dans ses états d’âme. Tout est très  riche, détaillé, réaliste et crédible. A noter également de belles références notamment à Claude Monet, Vincent Van Gogh ou encore Emily Brontë.

C’est un beau coup de cœur pour cette histoire d’amour comme on en lit peu. Elio et Oliver vont me suivre encore longtemps. J’ai l’impression d’avoir vécu intensément cette histoire. C’est suffisamment rare pour chérir ces souvenirs de lecture. Par contre, un petit conseil, ne lisez pas le résumé français en entier (je l’ai volontairement écourté ci-dessus), il en dévoile beaucoup trop et ne rend pas du tout hommage au contenu du roman.

Vous aimerez aussi découvrir :

  • 4 3 2 1 de Paul Auster
  • Le monde de Charlie de Stephen Chbosky
  • La lumière des étoiles mortes de John Banville

Fanny

Le jour d’avant de Sorj Chalandon / Rentrée littéraire 2017

Résumé de l’éditeur : « Venge-nous de la mine », avait écrit mon père. Ses derniers mots. Et je le lui ai promis, poings levés au ciel après sa disparition brutale. J’allais venger mon frère, mort en ouvrier. Venger mon père, parti en paysan. Venger ma mère, esseulée à jamais. J’allais punir les Houillères, et tous ces salauds qui n’avaient jamais payé pour leurs crimes.

Le jour d’avant est ma première rencontre avec Sorj Chalandon. J’ai beaucoup aimé toute la première partie de ce roman. La mine, ses codes et sa terminologie bien particulière m’ont passionnée. Le principal protagoniste, Michel Flavent, est instantanément attachant. Nous découvrons la fosse 3 Saint-Amé de Lens-Liévin à travers ses yeux de façon émouvante et édifiante. C’est toute une époque, toute l’activité d’une ville et tout un monde qui nous sont donnés à voir. Le premier rebondissement est excellent et bien porté. Ensuite, j’ai eu l’impression de m’embourber. A mon sens, la seconde partie est moins intéressante et la beauté de ce roman se perd dans les trop longues scènes d’un jugement.

Sorj Chalandon met en scène une quête de vérité et de réhabilitation. C’est aussi le récit d’un cheminement cérébral qui fait d’un mensonge une canne pour aider à continuer à vivre. La relation entre Michel et son grand frère Jojo est bien traitée et analysée. Nous sommes témoins d’un lien fort et unique. J’ai adoré les différentes scènes de leur complicité. J’ai très facilement ressenti une certaine revendication de la part de l’auteur ainsi qu’un engagement qui rehausse un peu plus le tout. En décrivant les diverses défaillances de sécurité à Liévin, il rétablit la mémoire et redonne une voix aux 42 victimes de cette catastrophe minière trop vite oubliée.

J’ai beaucoup aimé l’immersion dans le monde et toutes les spécificités de la mine et du travail de mineur. L’intrigue principale m’a intéressée ainsi que le principal rebondissement franchement inattendu. Par contre et à mon sens, le roman s’embourbe sur la fin et notamment lors du procès du protagoniste qui ne m’a pas passionnée ni touchée.

Lu dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire 2017.

Vous aimerez aussi découvrir :

  • Ciel d’acier de Michel Moutot
  • Un paquebot dans les arbres de Valentine Goby
  • Yaak Valley, Montana de Smith Henderson

Fanny

Une place à prendre de J.K. Rowling

un-place-a-prendre-le-livre

Résumé de l’éditeur : Bienvenue à Pagford, petite bourgade en apparence idyllique. Un notable meurt. Sa place est à prendre… Comédie de mœurs, tragédie teintée d’humour noir, satire féroce de nos hypocrisies sociales et intimes, ce premier roman pour adultes révèle sous un jour inattendu un écrivain prodige.

Ce roman m’attendait dans ma PAL depuis sa sortie. J’ai sauté le pas et me suis attelée à ce beau pavé de presque 700 pages. Comme avec chaque roman de l’auteure jusqu’ici, le style est très addictif. En effet j’ai souvent eu du mal à reposer mon livre. J.K. Rowling possède une plume accrocheuse, imagée et fluide. Les personnages et les décors prennent vie sans difficulté dans notre esprit. C’est aussi ça la magie J.K. Rowling ! Nous sommes très loin de l’univers Harry Potter. L’auteure nous introduit dans une petite bourgade anglaise où rancœur, mauvaise foi, coups bas et hypocrisie sont de rigueur. Les divers rebondissements nous tiennent en haleine. La fin est une vraie claque d’une violence à laquelle on ne s’attend pas forcément malgré les signes avant-coureurs.

Les personnages sont certes parfois caricaturaux (même si des personnes telles que dans le roman existent vraiment, si si véridique!) mais l’auteure appuie justement là où le bât blesse. Elle croque des personnalités sans aucune concession ni vernis. Le tout est assez pessimiste mais la morale n’est jamais loin pour preuve la rude chute du roman. Tout le monde possède des cadavres dans le placard et en prend pour son grade. Je vois plutôt ce livre comme une façon de dénoncer une certaine mentalité, une certaine société ainsi qu’un certain système. Ce roman est tantôt dur et sombre tantôt tendre notamment envers certains personnages. Mais l’auteure réussit l’exploit de ne pas tomber dans le pathos tout en introduisant quelques moments d’émotion.

Il s’agit d’un très bon roman. J.K. Rowling a, à mon sens, réussi avec brio son « après Harry Potter » en nous proposant un roman grinçant à souhait. Je me souviendrais encore longtemps de Pagford et de la cité des Champs.

Fanny